L’origine animale des pandémies !
Cet article a également été publié sur le site de Mr Mondialisation ici : Origine animale des pandémies : il est urgent de changer de modèle
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L’action au plus fort potentiel réducteur de risque épidémique
L’intérêt général de l’antispécisme
Nous espérons sortir de la pandémie que nous subissons. Ce coronavirus émergeant parmi tant d’autres (il en existerait plus de 5000 [1]) est le 3e en moins de 20 ans à provoquer une épidémie grave d’ampleur internationale. SRAS, MERS et COVID-19 sont 3 virus d’origine animale ayant pour origine des vertébrés volants à sang chaud (chauves-souris et oiseaux [2]). Or, les scientifiques du projet Global Virome, qui vise à nous prémunir des risques pandémiques, nous informent que la faune sauvage abrite actuellement 1,7 millions de virus encore inconnus, dont 50% seraient susceptibles d’infecter les humains [3]. Le dernier rapport “Échapper à l’ère des pandémies” [4] de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) précise que des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses sont à prévoir et que l’impact économique de l’actuelle pandémie est 100 fois supérieur au coût estimé de leur prévention. Dès lors, si nous ne changeons pas notre rapport aux autres animaux, nous n’éviterons pas de futures épidémies [5], avec toutes les conséquences que nous connaissons désormais.
Une origine qui dérange
Bien que l’information que le virus provenait probablement d’un animal ait été relayée dès le début de la pandémie, les leçons concernant la prévention de futures épidémies n’ont pas encore été tirées. Peter Daszak, chercheur en zoologie et coauteur du rapport sus-cité, appelle à un changement radical dans l’approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses : il faut laisser une place plus grande à la prévention qu’à la réaction [6].
De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) nous apprend qu’elle mène depuis de nombreuses années des travaux de recherche sur les mécanismes de transmission inter-espèces des coronavirus [7]. Ces infections sont connues de la médecine vétérinaire car elles sont fréquentes et peuvent avoir un impact économique important, particulièrement dans les élevages de jeunes ruminants, de porcs, de poulets et de dindes. Des opérations de vaccination sont même régulièrement pratiquées dans les élevages de rente soumis au risque infectieux. Les 3 virus émergents dont nous parlions plus haut ont vraisemblablement franchi la barrière inter-espèce par le biais d’un mammifère, et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) [8] nous rappelle que plusieurs coronavirus connus qui n’ont pas encore infecté les humains circulent chez certains animaux.
Toutes les instances font les mêmes constats. Pour lutter contre la propagation de l’épidémie, il faut casser les chaînes de transmission, en évitant la transmission aux populations animales au plus tôt. Pour lutter contre l’apparition de mutations dangereuses, il faut réduire la fréquence des infections (humaines et animales) [9]. Les recommandations partagées à l’échelle internationale vont dans le même sens : il faut éviter les contacts étroits entre les individus. Cette nouvelle pratique que nous appelons “distanciation sociale” permet de stopper la propagation du virus et donc la pandémie. Mais, le coût de cette pratique s’avère très élevé. Tant au niveau social et économique qu’au niveau psychologique, l’impact du confinement répété pourrait être le plus gros choc planétaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
N’en déplaise aux écologistes représentatifs [10] qui entretiennent un flou artistique [11] et aux écologues spécialistes de la question [12] peu décryptés [13], c’est bien de la relation que les humains entretiennent avec les animaux qu’ils convoitent que proviennent la majorité des pandémies. La déforestation[14], l’urbanisation [15], la métropolisation [16], l’industrialisation [17], l’aviation [18], le dérèglement climatique [19], la pollution de l’air [20], la disparition du monde sauvage [21], la perte de la biodiversité [22], sa dégradation [23], ses bouleversements [24] et sa “maltraitance”[25], la destruction de la nature[26], la modification de l’environnement [27], l’impact écologique [28], sa crise [29] et même son supposé déni [12], sont des facteurs plus ou moins aggravants qui découlent de l’activité humaine, mais qui ne sont pas à l’origine même des épidémies. C’est bien la transmission infectieuse de certains animaux à des humains, une “zoonose”, qui en est la cause. Désigner clairement des facteurs impliqués tout en entretenant un flou quant à la cause manifeste un étrange double standard dans le traitement de l’information, qui nuit indiscutablement à la compréhension de l’émergence des zoonoses. Il est tout à fait sidérant qu’on puisse prétendre tirer des leçons, proposer de grandes théories intriquées tout en appelant à une profonde radicalité, en évitant soigneusement l’origine même de ce qui a provoqué la situation désastreuse que nous vivons.
L’approche non anthropocentrée permet d’inclure les autres animaux dans notre sphère de considération en respectant leurs intérêts et donc leur intégrité physique. Elle nous prémunit contre les pratiques identifiées comme particulièrement à risques que sont la chasse, l’élevage et l’exploitation animale en général. Malheureusement, notre système alimentaire reste basé en grande partie sur l’exploitation animale ; notre culture n’est pas animaliste et des traditions à risques pourtant majoritairement rejetées [30] perdurent.
L’action au plus fort potentiel réducteur de risque épidémique
Toute infection zoonotique passe nécessairement par deux étapes [31] qui sont communes à toute émergence de maladie: le contact humain avec l’agent infectieux et la transmission de celui-ci. Les agents pathogènes zoonotiques représentent la source la plus probable de maladies infectieuses émergentes et réémergentes, si bien qu’une étude [32] révèle que les nouveaux agents pathogènes ont deux fois plus de chance d’être d’origine zoonotique que non zoonotique (58% des agents pathogènes humains le sont). En retour, d’après cette autre étude qui date de 2001 [33], 39% des pathogènes humains ont infecté des animaux domestiques, 44% des animaux sauvages et 26% les trois catégories. Globalement, 60% des maladies infectieuses connues [34] et 75% des maladies infectieuses émergentes [35] sont d’origine animale. Elles affectent 2,5 milliards de malades et tuent 2,7 millions d’humains chaque année. Cette menace sérieuse pour l’humanité en fait un des objets de recherche les plus importants aujourd’hui [36]. Pour s’en rendre compte, la grippe espagnole, d’origine aviaire [37], a à elle seule tué plus d’humains que la tristement plus célèbre première guerre mondiale. Cinq siècles plus tôt, la variole et la grippe (issues des animaux domestiques) avaient décimé une grande partie de la population amérindienne.
L’exploitation des animaux, quelle qu’elle soit, facilite les contacts étroits entre les animaux sauvages et les humains aux origines mêmes de la majorité des zoonoses [38], si bien que parmi les espèces sauvages menacées, celles dont la population a diminué en raison de l’exploitation et de la perte d’habitat ont partagé plus de virus avec l’homme [39]. Les animalistes analysent les zoonoses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’ils voudraient qu’elles soient. Vu qu’ils ne considèrent plus les animaux comme des ressources, ils n’ont pas de point aveugle sur leur utilisation que les comportements encouragés par notre société perpétuent. En respectant l’intégrité des animaux pour eux-mêmes, on évite la plupart des comportements à risques responsables des contaminations humaines. Or cela tombe bien parce qu’aujourd’hui, il existe un courant de pensée philosophique et moral qui inscrit la considération de l’animal pour lui-même à son fondement : l’antispécisme [40]. En nous apprenant que l’espèce n’est pas un critère pertinent de considération morale en soit, il prône la sortie de toute exploitation animale, quelle qu’elle soit. Alors que l’ensemble des actions à risques zoonotiques reconnues par les scientifiques relèvent exclusivement de comportements spécistes, le remède racinaire se révèle être l’antispécisme.
Une étude parue en août dernier [41] corrobore ces analyses et souligne clairement la production de viande comme première responsable des épidémies, soit directement par un contact accru avec les animaux sauvages et d’élevage, soit indirectement par son impact environnemental (avec comme premier facteur aggravant associé [32], le changement de l’utilisation des terres avec 27% des terres dédiées à l’élevage contre 1% pour l’urbanisation et ses infrastructures [42] par exemple). Ces analyses étayent les travaux de Serge Morand, écologue et directeur de recherche au CNRS, qui montrent que les mammifères domestiqués sont les principaux acteurs du réseau de transmission zoonotique et que plus le temps écoulé depuis la domestication est élevé, plus nous partageons d’agents pathogènes. Ces chercheurs font savoir que limiter le risque épidémique ne pourra pas vraiment se faire par l’amélioration des élevages et que seule une réduction de la consommation de viande permettra de limiter ce risque. Pour ce faire, ils avancent des propositions concrètes telles que notamment la mise en œuvre d’une taxe zoonotique [41] qui pourrait se coupler à une taxe carbone ainsi que la promotion des régimes alimentaires basés sur le végétal à travers les recommandations nutritionnelles officielles par des politiques d’information et de conseil à grande échelle. Dans l’immédiat, des études observationnelles et expérimentales solides [43] montrent que le fait de doubler la proportion de repas végétariens proposés dans des cafétérias augmente les ventes de produits végétariens de 41 % à 79 %.
Au-delà de l’antispécisme, il existe bien évidemment des stratégies de réduction de risque épidémiques. Les vaccins et les médicaments permettent de faire face à la crise. Seulement, ces stratégies sont curatives et présentent des limitations. Le fait que les coronavirus aient des taux de mutation de modérés à élevés [44] implique que les vaccins qui ciblent des antigènes qui ne sont pas conservés par la personne infectée ont peu de chance de conserver leur efficacité dans la durée. Cette étude de 2018 [45] précise que des médicaments à large spectre peuvent présenter l’inconvénient de potentiels effets indésirables.Faire ce que propose l’antispécisme, quant à lui, semble être un bon moyen pour réduire drastiquement le risque de manière préventive.
L’intérêt général de l’antispécisme
Dès lors, l’impact dévastateur de la pandémie de COVID-19 nous enjoint de sortir de notre consommation de produits animaux. Une nouvelle étude [46] établit même l’analogie entre manger de la viande et ne pas se vacciner. En effet, se vacciner et ne pas manger de viande répondrait aux trois mêmes impératifs moraux : prévenir les dommages individuels, éviter la complicité dans les dommages collectifs et faire preuve d’équité. Si nous abandonnons collectivement la consommation de viande alors, au même titre qu’une couverture vaccinale qui offre une immunité collective, nous réduisons ainsi drastiquement le risque de maladies infectieuses dans l’intérêt public. A l’instar de la vaccination, ce devoir est pro tanto, c’est-à-dire qu’il est applicable seulement dans une certaine mesure. Si il n’existe pas d’alternative à la viande et que son refus met la vie humaine en danger alors il ne s’applique plus. Dans ce cas, manger de la viande pour survivre impose un risque nécessaire aux autres. Cependant, ceux qui disposent d’options alimentaires riches et variées comme nous pouvons désormais en profiter en occident, ont clairement intérêt, selon un certain principe de précaution, à collectivement éviter toute viande d’où qu’elle vienne. Bien que les épidémies qui ont infecté l’humain jusqu’à présent n’ont pas anéantie l’humanité, la science a documenté des cas où des maladies provoquent l’extinction d’une espèce entière [47].
Si nous ne voulons pas vivre une nouvelle épidémie qui nous obligerait à une nouvelle distanciation sociale en plus des nombreux désagréments pesants au quotidien, nous devons collectivement éviter les comportements les plus à risque que sont l’élevage et la chasse en particulier, l’exploitation animale en général. Seulement, ces comportements sont ancrés dans nos cultures humaines depuis toujours. C’est donc à une évolution majeure de l’espèce humaine que nous appelons [48]. Bien loin des caricatures projetées sur son projet politique par ses détracteurs, l’antispécisme se révèle bien plus pragmatique qu’il n’y paraît. En minimisant au maximum les risques épidémiques il offre un potentiel préventif transformateur choisi à moindre coût plutôt qu’une gestion de crise subie, dramatique et exorbitante. Au-delà de ces aspects, il s’inscrit dans la parfaite continuité de l’augmentation de notre sphère considération pour l’amélioration des conditions de chacun, et bientôt, y compris les animaux.
[1] Britt Glaunsinger, « Coronaviruses 101: Focus on Molecular Virology », Innovative Genomics Institute – IGI, mars 2020
[2] Woo, P. C. et al. (2012). Discovery of seven novel Mammalian and avian coronaviruses in the genus deltacoronavirus supports bat coronaviruses as the gene source of alphacoronavirus and betacoronavirus and avian coronaviruses as the gene source of gammacoronavirus and deltacoronavirus. Journal of virology (IF2019-4.501), citée 938 fois (DOI: 10.1128/JVI.06540-11)
[3] Carroll, D. et al. (2018). The global virome project. Science (IF2019-41.8045), citée 205 fois (DOI: 10.1126/science.aap7463)
[4] Échapper à l’«ère des pandémies»: Les experts mettent en garde contre de pires crises à venir; Options proposées pour réduire les risques. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). 2020
[5] Anthony Detrier, « Ce nouveau coronavirus transmis par les porcs aux humains inquiète les chercheurs », Gentside, octobre 2020
[6] Clémentine Thiberge, « Prévenir les pandémies plutôt que les guérir serait cent fois moins coûteux », Le Monde, octobre 2020
[7] Les coronavirus, Carte d’identité et rôle de l’Anses, L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mars 2020
[8] Coronavirus, Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
[9] SARS-CoV-2 Variants, World Health Organization (WHO), décembre 2020
[10] Olivia Gesbert, « Bruno Latour : « Ce virus est là pour nous préparer à l’épreuve suivante, le nouveau régime climatique » », France Culture, janvier 2021
[11] Dimitri de Boissieu, « Coronavirus : le jour où les animaux se révoltèrent contre les humains… », Reporterre, mars 2020
[12] Un collectif d’écologues, « La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique », Libération, avril 2020
[13] Christian Leveque, « La destruction de la biodiversité a-t-elle engendré le Coronavirus ? », European Scientist, avril 2020
[14] « Les recherches sur les liens entre déforestation et épidémies sont insuffisantes, alertent des scientifiques », Reporterre, mai 2020
[15] Guillaume Faburel, « Pandémie : « L’urbanisation et la métropolisation généralisées sont le creuset de la crise sanitaire » », Marianne, avril 2020
[16] Marie Astier pour un entretien avec Guillaume Faburel, « La métropolisation du monde est une cause de la pandémie », Reporterre, mars 2020
[17] Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020
[18] « L’aviation a joué un rôle central dans la propagation du coronavirus », Reporterre, mars 2020
[19] Justine Guitton-Boussion, « Le coronavirus, une épidémie favorisée par l’avion et le dérèglement climatique », Reporterre, janvier 2020
[20] Gérald Roux, « Le rôle de la déforestation et de la pollution dans l’épidémie de Covid-19 », franceinfo, mars 2020
[21] Juliette Duquesne pour un entretien avec Serge Morand, « Coronavirus : « La disparition du monde sauvage facilite les épidémies » », Marianne, mars 2020
[22] Laurent Radisson, « Érosion de la biodiversité et pandémies : le pire est à venir », Actu-Environnement, octobre 2020
[23] Perrine Mouterde, « Coronavirus : la dégradation de la biodiversité en question », Le Monde, avril 2020
[24] Martine Valo pour un entretien avec Philippe Grandcolas, « Coronavirus : « L’origine de l’épidémie de Covid-19 est liée aux bouleversements que nous imposons à la biodiversité » », Le Monde, avril 2020
[25] Fabrice Pouliquen pour un entretien avec Philippe Grandcolas, « Coronavirus : « Cette épidémie est la conséquence d’une biodiversité que l’on maltraite », selon Philippe Grandcolas », 20 minutes, avril 2020
[26] John Vidal, « ‘Tip of the iceberg’: is our destruction of nature responsible for Covid-19? », The Guardian, mars 2020
[27] Mathieu Vidard pour un entretien avec Jean-François Guégan, « Coronavirus : En quoi la pandémie actuelle est-elle liée à l’environnement ? », France Inter, mars 2020
[28] Sébastien Billard pour un entretien avec Rodolphe Gozlan, « »Le Covid-19 était inévitable, et même prévisible » du fait de notre impact écologique », L’Obs, mars 2020
[29] Christelle Guibert pour un entretien avec Laurence Tubiana, « Le coronavirus est lié à la crise écologique, à nos modes de vie », Ouest France, mars 2020
[30] Ifop pour Caniprof, « Référendum sur la protection animale : Les Français soutiennent les animaux », Ifop, juillet 2020
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[40] Thomas Lepeltier, Yves Bonnardel et Pierre Sigler, « L’antispécisme est un projet politique réaliste », L’Amorce, 2018
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[48] David Olivier : « L’animalisme nous mène à un progrès civilisationnel majeur », Le Monde, 2019